La preparation de Kaneka au chantier

Au commencement, lorsque nous avons décidé de réaliser ce projet « une île, deux portraits », Stan et moi avons passé quelques heures à discuter sur la meilleure façon de procéder quant au choix du bateau, au temps que nous étions prêt à consacrer à la phase chantier, au budget réaliste et nécessaire pour une telle aventure, au matériel indispensable pour nos navigations hauturières futures et bien entendu à nos compétences réelles pour réaliser le tout. Pour ce qui est de l’achat du bateau, les conseils glanés à droite à gauche entre les sites Internet, nos lectures et surtout chez des amis marins plus expérimentés, nous ont orientés vers un Sangria. Ce bateau de 7,6 m, tout polyester dessiné par le bien connu Harlé (concepteur des bateaux aux parfums alcoolisés…Muscadet, Cognac et autres Aquavits), a une excellente réputation, tant au niveau de sa construction, qu’en ce qui concerne ses qualités marines. Par ailleurs de très nombreux Sangria sont disponibles sur le marché de l’occasion puisque ce bateau a été construit à plus de deux mille exemplaires depuis une trentaine d’années. Il suffit de déambuler quelques week-end sur les pontons et dans les chantiers, et là on peut trouver de tout et à tous les prix : de la vieille épave au fond d’un jardin cédé pour une bouchée de pain, au Sangria si rutilant qu’on ose à peine se pencher sur le prix, en passant par tout un panel de bateaux plus ou moins maquillés, plus ou moins équipés et où il est parfois difficile de corréler prix et qualité. Il nous aura fallu à peine quelques jours pour dénicher à La Rochelle un Sangria qui sortait du lot à nos yeux et qui répondait au mieux à nos attentes, somme toute assez simples…pas cher et en bon état ! Nous étions en avril et il n’était pas question de se lancer dans de gros travaux qui peuvent prendre un temps considérable, et qui auraient retardé le départ, fortement conditionné par la saison, puisque parait-il, le Golfe de Gascogne se traverse de préférence jusqu’à la fin septembre…et nous souhaitions partir fin juin ! Bref, nous pouvions consacrer dans la théorie deux mois à la phase chantier, pas plus puisque nous voulions également prendre le bateau en main un mois supplémentaire. La suite nous a prouvé que nos estimations relevaient plus de la fantaisie que d’un calendrier bien ficelé…c’est que la multitude des réparations peut vite ressembler à une montagne de Sisyphe et que face à cette montagne on se demande bien par quel bout commencer. En ce qui me concerne, je crois que j’ai d’abord dévissé un boulon de chandelier, comme ça, par hasard parce que j’avais un tournevis dans la main à ce moment précis et que le chandelier me tendait les bras. Pour lever tout de suite le suspense, il nous aura fallut jusqu’au 13 septembre pour partir véritablement, soit après un petit calcul très simple deux mois et demi de retard par rapport à nos candides prévisions. Et pourquoi une telle erreur de diagnostic Docteur ? Et bien la suite devrait pouvoir l’expliquer.

Notre bateau fraîchement acquis et s’appelant alors « Nymphe Australe II » avait pour lui de ne pas être osmosé (l’osmose est une « maladie » des bateaux polyester qui se caractérise par une accumulation d’eau à l’intérieur même de la couche plastique et qui peut faire de votre beau croiseur des mers, un rafiot à tête d’éponge qui ne reste plus dans ses lignes et qui a tendance à sentir le vinaigre), il possédait aussi deux jeux de voile dont un récent de 2002 en parfait état (grand voile, génois, tourmentin, foc intermédiaire adaptés sur enrouleur), l’intérieur était propre bien que peu à notre goût (trop sombre et il nous fallait de la lumière pour apporter un peu de « joie » les jours de grisaille), le gréement en bon état…en résumé un bateau sain, mais manquant cruellement de tout le matériel indispensable à une navigation hauturière et à une vie confortable six mois durant. Au passage un grand merci à Joachin, notre expert attitré qui est venu amicalement décortiquer le bateau pour nous donner son avis et nous rassurer sur sa qualité.

Rapidement nous avons fuit le port des Minimes à La Rochelle, sorte de Mecque de la voile où parfois l’impression d’être une bourse remplie de pépites se fait sentir et où les rapports avec le milieu professionnel (allez, ne faisons pas de généralités, je parle de deux ou trois sympathiques vampires, pas plus) était bien loin de nos attentes nées de nos lectures au temps de Moitessier. Nous avons préféré partir dès la première semaine à La Tremblade, à proximité de l’Ile d’Oléron, au chantier « Nautique en Presqu’île ». Joël et Tony, a qui j’ai parlé je pense pas plus de trois minutes de notre projet au téléphone m’ont directement dit qu’ils nous accueillaient à titre gratuit, sans rien demander en retour et parce que « c’est normal de filer un coup de pouce pour des projets comme ça, les gars ». Ni une, ni deux nous étions à pied d’œuvre et pour les quatre mois à venir dans un cadre parfaitement calme, entre claires ostréicoles et ce paysage plat de Charente Maritime. Je vais tacher ici de dresser une liste des ateliers réparations qui nous ont tenu si longtemps à terre. Et bien une fois le boulon du chandelier dévissé dont je parlais plus haut, nous avons attaqué le démantèlement pur et simple du bateau afin de nous assurer de la solidité et de l’étanchéité de l’ensemble des pièces déjà présentes. La totalité de l’accastillage a donc été démonté, remonté au Sikaflex en changeant toute la visserie inox. L’étanchéité et les boulons de quille ont été revus. La peinture de coque entièrement grattée jusqu’au gelcoat, la carène recouverte de trois couches de primaire constituant un traitement préventif à l’osmose, puis de quatre couches d’antifouling bleu ciel gracieusement offerte par l’entreprise Internationale ; les œuvres vives recouvertes de deux couches de sous-couche et de quatre couches de laque jaune vif. L’étanchéité du liston a été refaite au Sikaflex au dessus et en dessous. Au niveau du tableau arrière nous avons décalé le moteur (un Yamaha 9,9 CV, au passage révisé lui aussi par les bons soins de Tony) fixé sur une nouvelle chaise, ce qui nous a permis par la suite de poser un régulateur d’allure Beaufort sur la partie tribord. Un nouveau hublot de pont a été posé sur le roof pour plus de lumière, plus de ventilation et pour pouvoir jeter rapidement un coup d’œil dehors en navigation sur l’avant. La pièce d’étrave a été démontée et refixée sur la base de boulons plus fortement dimensionnés, ceux d’origine nous paraissant un peu faibles au regard des tensions que cette pièce doit supporter. La peinture antidérapante a été refaite en gris (le blanc brûle les yeux, et le noir chauffe trop au soleil) avec ajout de sable calibré du bâtiment…l’effet est parfait pour un tout petit prix. Au niveau du mât déposé à la sortie de l’eau, les rivets des échelons, winch, poulies, et base du gréement dormant ont été intégralement changés, l’arrangement des cordages revu pour renvoyer au cockpit drisses et balancines via des poulies de plat pont neuves et des bloqueurs Spinlock (trois de chaque côté) ; la tête de mat elle aussi a été revue…nous y avons installé une antenne pour l’AIS, une autre pour la VHF, un feu à led pour la route et le mouillage consommant très peu d’énergie et une girouette phosphorescente. Le gréement a été expertisé pour nous assurer de sa solidité. Nous avons par ailleurs rajouté un étais volant pour gréer le tourmentin, ce système étant plus efficace dans le mauvais temps qu’un génois arisé. Tous les cordages et poulies ont été changés. Au niveau de la base du mât, nous avions observé un léger enfoncement du pont ; du coup nous en avons profité pour revoir aussi cette partie à grands coups de meuleuse dans le polyester (la poussière de ce matériaux ayant sensiblement le même effet que du poil à gratter en plus urticant je dirais) en tartinant ensuite du mastic époxy armé, puis du gelcoat. Je parlais d’AIS et de VHF, car en effet pas mal d’électronique a été ajouté pour une navigation plus sûre : un AIS qui nous permet de visualiser le cheminement et les routes de collision possibles avec des bateaux de passagers, des navires de plus de 300 tonneaux, et de plus en plus des bateaux de pêche ; nous avons installé une VHF ASN, un combiné loch/sondeur en plus du sondeur déjà présent (mais dont nous ne connaissons pas le nombre de jours qui lui reste à vivre avant trépas), un GPS et enfin une BLU qui nous permet de capter des cartes météo sur notre PC portable grâce au logiciel MS Scan. Ces appareils sont alimentés par trois panneaux solaires (40W et deux fois 20W) offert en soutien à notre projet par l’entreprise Aurinco : pour la fixation des panneaux nous avons tout simplement fabriqué un support en CP marine articulé sur les balcons arrières par quelques poulies, ce qui nous permet d’orienter d’un coup de ficelle les panneaux vers le soleil et d’engranger un maximum d’énergie pour les deux batteries étanches à gel de 105 Ah, et à décharge profonde également offerte généreusement par l’entreprise Europa. Le niveau de charge des batteries est constamment indiqué par un gestionnaire de batterie et à ce jour, on a le sourire en disant que nous ne sommes jamais descendu en dessous de 70% de charge…nos calculs étaient bons. A l’intérieur, l’éclairage traditionnel à ampoules a été changé pour des lampes à led moins gourmandes, dont une lampe de table à carte à éclairage rouge, ce qui a posteriori s’est révélé être un bon choix pour ne pas perdre l’adaptation de notre vision à l’obscurité pendant les quarts de nuit. En passant, toute l’électricité a été refaite à neuf. Pour ce qui est de l’aménagement intérieur, le bateau a été isolé par un isolant « aluminium et bulles » équivalent à 20 cm de laine de verre, et les vaigrages refaits. J’espère que cette lecture n’est pas trop laborieuse, mais peut être cela pourra-t-il aider d’autres personnes souhaitant partir sur un petit bateau à préparer leur voyage. Alors je continue. Toujours dans un souci de rendre le bateau plus « cosy » les jours de mauvais temps, nous avons repeint l’intérieur avec une peinture je cite « jaune soleil ». Les équipets déjà présents ont été fermés par des portes en CP et d’autres équipets ont été rajoutés pour gagner de la place. Dans le coin cuisine nous avons installé une gazinière ENO sur cardant, la bouteille de gaz se trouvant attachée dans un coffre extérieur avec bien entendu une aération pour éviter de sauter en pleine mer. Pour le reste de l’équipement, nous avons préparé deux mouillages constitués par des ancres de 12 kg (ancre plate et ancre charrue respectivement), 40 m de chaîne de 8 mm et de 40 m de câblot dimensionné en 14 mm, plus une ancre légère pour mouiller le midi rapidement sans avoir à se casser le dos ensuite au moment de la sieste ! Une capote rouge (c’est important la couleur on l’aura compris) de la voilerie Klein, achat indispensable pour se protéger du vent et des vagues pendant les longs quarts de nuit ; ce fût vérifié dès la première nav’ de La Rochelle à Gâvres. Une survie hauturière de 4 places nous a été prêtée par l’entreprise Bombard, merci à eux. Et pour mieux préparer notre survie dans le cas redouté où nous serions coulés par une vague scélérate, un cachalot ou même un cracken nous avons lu le livre de Bombard dans lequel nous avons glanés de bons conseils, comme boire de l’eau de mer à hauteur de 900 ml par jour si jamais le soleil persiste, et surtout nous avons préparés un bidon de survie de 25L sensés agrémenter le quotidien d’un naufragé par quelques douceurs : raisin sec, fraises Tagada, barres énergétiques, eau - douce celle-ci -, couverture de survie, une VHF à main pour contacter les secours, un deuxième GPS avec des piles de rechange, une pharmacie de base, un bon bouquin pour penser à autre chose, et bien sûr du matériel élémentaire de pêche. A ce sujet, en dehors de tout contexte dramatique nous avons embarqué pas mal de leurres et de traînes pour la pêche du quotidien, notamment de quoi pêcher du thon, des bonites, des daurades coryphènes et du maquereau, on croise les doigts et on en salive à l’avance. Et dans le cas très improbable où le poisson se ferait timide, l’avitaillement conséquent offert par nos différents sponsors Celnat, Raiponce et la Biocoop La Gambille de Saint Brieuc (Cf liste Avitaillement) nous met à l’abri du besoin pour une période que nous estimons à quatre mois en autonomie complète, mais c’est sans compter le manque poignant en entrecôtes, os à moelle, andouillette et steack tartare ! Et enfin je pense avoir fait le tour, une pharmacie très conséquente constituée avec l’aide du Docteur Leroux au Vieux Marché qui m’a consacré tout une fin de journée sur le sujet avec le plus grand intérêt : cette pharmacie contient à peu près de quoi soigner la plupart des affections répertoriées chez l’Homo sapiens sapiens : antidouleurs, corticoïdes, antibiotiques, les traitements de l’œil, du ventre, des voies respiratoires supérieures, antipaludéens, du fil, des aiguilles, des compresses, et même un aspivenin…on se sent paré !

A si quand même, j’oubliais notre troisième compagnon pour cette aventure : Jean Marc, notre régulateur d’allure…c’est qu’il y a un jeu de mot d’une finesse absolue et plein d’esprit : Jean Marc barre, rigolo non ?! Bref, cette appareil génial fabriqué par Asmer à La Rochelle, permet de garder avec un simple réglage de la partie aérienne, une même allure par rapport au vent, quelque soit les changements d’orientation de celui-ci…d’une simplicité et d’une efficacité à toutes épreuves, même dans un coup de vent, on l’a vérifié plus tard…

Encore un grand merci à Joël et Tony qui en plus de leur accueil nous ont toujours éclairé gentiment devant nos « dis, j’ai une question » ou encore « tu penses quoi de… », merci à vous !

Voilà en substance ce qui nous a retenu si longtemps en France bien après le mois de juin, mais bon, nous sommes finalement partis pour un grand saut le 13 septembre au petit matin, avec comme il se doit des préparatifs dans la précipitation jusque tard la veille, mais il parait que c’est normal !

Pour terminer sur cette phase préparation Stan et moi remercions vivement toutes les entreprises, institutions, personnes et nos proches qui nous ont soutenu financièrement ou moralement et sans qui ce départ aurait été reporté bien plus loin, voir n’aurait jamais existé : le Conseil Régional de Poitou Charentes, Le Ministère de la Jeunesse et des Sports, le Conseil Général des Côtes d’Armor, les Mairies de Langueux et Du Vieux Marché, l’entreprise Biomas, l’entreprise Tereos, l’association La Source de Villarceaux, la Laiterie Nouvelle de l’Arguenon, le PRCM et plus particulièrement Blandine Mélis…merci à vous nous allons tacher de concrétiser plus loin jusqu’en Espagne, jusqu ‘au Portugal, à Madère, aux Canaries, au Cap Vert, au Sénégal et enfin en Guinée Bissau.

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