La désertification au Cap Vert

La désertification au Cap Vert : exemple de l'île de Sao Nicolau

 
Le Cap Vert est un archipel de dix îles principales (dont neuf habitées) et de cinq îlots, situés à 500 kilomètres environ à l’ouest des côtes sénégalaises. Le Cap Vert constitue avec les archipels des Açores, de Madère et des Canaries, une entité géologique commune, d’origine volcanique appelée la Macaronésie.
Bien qu’étant proches les unes des autres, les îles de l’archipel se caractérisent par une grande variété de paysages et de climats. Sal et Boa Vista par exemple, au Nord Est, ne sont que caillasses et déserts plats ou s’égrainent quelques acacias et de rares palmiers dattiers ; mais les plages de sable blond, attirent de plus en plus de touristes qui constituent aujourd’hui le pilier de l’activité économique de ces îles cailloux. D’autres îles comme Fogo, Brava, et Santiago au Sud Ouest, ou Santo Antao et Sao Nicolau (au Nord Ouest), s’avèrent plus propices au développement de l’agriculture, du fait de reliefs plus marqués (avec des sommets de plus de 1000 mètres), retenant les nuages et permettant des précipitations toutes relatives, mais indispensables à l’irrigation des sols.
Malgré ces diversités topographiques, les îles partagent tout de même en commun une sécheresse climatique sévère qui depuis des siècles est à l’origine de famines faisant des milliers de morts. Si ces périodes de sècheresse alternent classiquement tous les quinze ans avec des années plus arrosées, le pays fait face depuis une trentaine d’années à sa plus longue sècheresse. Associée à ce climat aride, l’érosion des sols (principalement due à la déforestation et au surpâturage) a accentué le processus de désertification, qui constitue aujourd’hui comme un nœud gordien dont les capverdiens cherchent à se dépêtrer.


Ancienne colonie portugaise née du métissage entre colons et esclaves, le Cap Vert a su trouver son indépendance en 1975 sous l’impulsion de l’intellectuel Amilcar Cabral, fondateur du Parti Africain pour l’Indépendance du Cap Vert (le PAICV), à l’issu d’une des plus longues guerres d’indépendance en Afrique de l’Ouest, et à la chute du régime dictatorial portugais. Le PAICV  nationalisa  rapidement tous les secteurs forts de l’économie et constitua des systèmes éducatifs et de santé efficaces. Mais en 1985, le gouvernement ne put endiguer une nouvelle famine sans l’aide d’autres pays. A la fin des années 80, un deuxième parti politique, indispensable au processus d’opposition démocratique, vit le jours : le Mouvement Pour la Démocratie  (Le MPD). Ce mouvement libéral de centre droit accéda rapidement au pouvoir et commença son labeur en privatisant nombre de secteurs économiques, récupérés notamment par des investisseurs étrangers, mais sans grandes retombées pour le développement du pays malgré une fois encore l’aide internationale toujours présente. Le PAICV retourna en pouvoir en 2001, et doit depuis, sous l’égide du Fond Monétaire International (le FMI), mener une politique économique également centriste soumise aux fameux plans d’ajustements structurels.

En bref, le Cap Vert reste le pays le plus développé d’Afrique de l’Ouest mais la lutte contre la désertification reste une condition sine qua non pour un développement économique dit « durable ». 

Il nous est donc apparu essentiel dans le cadre de notre projet associatif « une île, deux portraits », de traiter de ces problèmes, avec ici l’exemple de Sao Nicolau et plus particulièrement de la vallée de Fajà.


Cette île a la réputation d’être agricole et nous nous attendions donc à errer au milieu de vertes vallées fertiles ou les bananeraies se disputeraient la place avec les champs de cannes à sucre. Seulement, en y débarquant il nous est apparu immédiatement que la sècheresse constitue ici aussi le nerf de la guerre. Nos pérégrinations nous ont amenés à traverser une bonne partie de l’île, mais les vallées apparaissent représenter plus un paradis du géologue amateur que du botaniste éclairé. Des plaines entières du bord de mer ne sont recouvertes que de pierres volcaniques, noires ou rouges, et les embruns y volent à chaque ressac, recouvrant le basalte d’une fine couche de sel.

Juste a l’extérieur de Vila Da Ribeira Brava, un paysage quasi marsien battu par les embruns où aucune culture ne semble possible


Des canyons creusés par d’antiques rivières sillonnent la montagne, mais pas une goutte d’eau ne s’en déverse aujourd’hui. Seules quelques chèvres craintives y broutent de rares plantes.

Les anciennes rivières aujourd’hui asséchées, ont creusé des canyons qui serpentent jusqu’à la mer


Nous avons rencontré dans le village de Vila Da Ribeira Brava, Fernando Santo, qui nous parla de son île, de son histoire et de ses particularités actuelles et passées.

Fernando Santos a travaillé longtemps avec les ingénieurs français sur la « galeria »



Vila est un charmant village perdu au milieu d’une vallée, au pied du point culminant de Sao Nicolau, le mont Gordo. On y rencontre guère de touristes car ici il n’y a pas de plage de sable blanc, seulement les vestiges d’une agriculture plus florissante : sur les flancs de la vallée, nombre de terrasses armées de murets en pierres volcaniques sont aujourd’hui laissées à l’abandon, du moins dans le bas du village ou les eaux d’irrigations sont déjà taries par les cultures en amont. Une rivière asséchée depuis quelques décennies a laissé son emprunte au milieu de Vila, la traversant de part en part, sable et poussière. Fernando nous raconta qu’un vieille homme expatrié depuis plus de cinquante ans était revenu quelques jours plus tôt retrouver le village de son enfance ; il fût abasourdi de découvrir que la rivière qui y coulait jadis et les terrasses luxuriantes de bananes avaient disparu !


Les terrasses sont de moins en moins vertes à mesure que l’ont descend en aval de la vallée de Vila Da Ribeira Brava


Sur cette image on aperçoit au centre ce qui ressemble à une piste de terre mais qui en réalité est le lit de l’ancienne rivière qui jadis traversait Vila Da Ribeira Brava



Mais pourquoi parle-t-on alors d’île agricole ? Et bien simplement car une vallée reste aujourd’hui fertile, c’est la vallée de Fajà. Elle aussi est située sur un flanc du mont Gordo, mais contrairement à sa voisine presque asséchée, la vallée de Fajà profite encore pleinement d’un système d’irrigation alimentée par une nappe phréatique exploitée depuis 1983.

Frappée par la sécheresse depuis l’indépendance en 1975, l’agriculture de Sao Nicolau se voyait menacée. Certaines années il ne pleut pas une goutte sur l’île nous expliqua Fernando. C’est dans ce contexte de crise, que des ingénieurs français furent mobilisés entre 1979 et 1983 pour l’édification de ce que les gens d’ici appellent la « galeria », une galerie creusée à l’horizontale sur plus de 2300 mètres, jusqu’à une nappe phréatique encore inexploitée au beau milieu de la vallée de Fajà. Cette entreprise mobilisa nombre d’ouvriers pendant ces quatre années, ce qui aboutit lors de la mise en service de la galeria, à une exploitation de près de 1800 m3 par jour.

La Vallée de Fajà profite pleinement d’un système d’irrigation alimenté par la « galeria » : la végétation y est bien plus foisonnante qu’ailleurs dans l’île.





L’agriculture traditionnelle se basait à l’époque (et encore parfois aujourd’hui) sur la production de bananes, de manioc, de maïs et de cannes à sucre, autant d’espèces très demandeuses en eau pour une croissance efficace. Par ailleurs l’ancien système de culture fonctionnait sur la base de « Rego », des terrasses excavées au centre et alimentées en eau par des canaux en terre, ce qui entraînait d’énormes pertes d’eau par simple filtration dans le sol. Outre l’exploitation de la nappe phréatique par la galeria, les ingénieurs français ont eu à cœur de changer les habitudes des agriculteurs afin d’éviter ces pertes d’eau. Fernando fût ainsi formé par des hydrogéologues afin de pouvoir intercéder auprès des habitants de Fajà qui devraient exploiter le plus durablement possible l’inestimable ressource en eau de la vallée. Certaines de ces habitudes persistent malgré tout mais de plus en plus d’agriculteurs se tournent vers une irrigation moderne faite de tuyaux en plastique irriguant au « goutte à goutte » les cultures, notamment grâce à l’aide internationale et à des mesures incitatives du gouvernement (le m3 d’eau est deux fois moins coûteux pour un système « goutte à goutte » que pour un système « rego »). Quant aux espèces cultivées, oignons, carottes, haricots et pommes de terre sont aujourd’hui également produits, mais paradoxalement le maïs reste une denrée de choix pour les cultivateurs… il faut dire qu’une vingtaine de plats sont à base de maïs sur l’île, notamment la Catchupa, le plat national, une sorte de mixture entre maïs, haricot et poichiche. Mais des ONG internationales et le gouvernement apportent également leur aide à ce niveau, à travers le financement de boutures d’autres plantes devant diversifier le panel d’espèces cultivées : par exemple le Millenium Challenge Account (le MCA) une organisation américaine a financé l’importation de boutures d’ananas (près de 12000 plans) dans la pépinière de Fajà. Nous y avons rencontré Sylvino qui avec deux collègues capverdiens travaille depuis quelques années au développement de la pépinière et donc à la diversification des cultures : il propose déjà aux producteurs de la vallée des fraisiers, cocotiers, goyaviers, citronniers, orangers, manguiers et papayers !


Sylvino travaille à la diversification des cultures depuis la pépinière de Fajà



L’eau de Fajà permet donc non seulement d’irriguer les cultures de la vallée mais aussi d’approvisionner l’ensemble de l’île de Sao Nicolau pour la consommation domestique : des robinets publics de distribution d’eau ouvrent quelques heures tous les deux jours et les habitants viennent s’y approvisionner en remplissant des bidons de 50 litres portés à dos d’ânes jusqu’à la maison ou dans des brouettes.

La plupart de habitants de l’île viennent s’approvisionner aux robinets publics, y remplissant de gros bidons


Les bidons de 50L sont aussi parfois ramenés à pied à la maison…



Mais la ressource n’est pas inépuisable, et la nappe phréatique ne produit plus que 300 m3 par jour actuellement. Il est prévu d’après certaines estimations qu’elle soit asséchée d’ici trois ans. Dans ce contexte, l’unique solution pour l’île, à l’instar de Sal ou de Boa Vista, est de se doter de dessalinisateurs d’eau de mer. Un tel projet est en cours et devrait aboutir d’ici à 2010, l’objectif étant de consacrer la nappe phréatique seulement à l’agriculture et d’utiliser l’eau déssalée pour la consommation domestique. Ces usines de dessalinisation fonctionnent actuellement grâce au pétrole, mais Sao Nicolau vise un apport énergétique sur la base d’énergies dites « propres » (éolienne, hydrogénérateur, solaire), à hauteur de 30% ! L’avenir nous dira s’ils ont tenu le pari…

Enfin depuis deux ans les pluies semblent un peu plus importantes et nous ne pouvons qu’espérer pour le Cap Vert, un retour à des conditions normales, « singing in the rain ».


 Sur les murs des collecteurs d’eau qui s’échelonnent tout au long de la vallée de Fajà, des slogans rappellent la richesse que constitue l’eau pour le Cap Vert…ici « l’eau c’est la vie » 





Exemples de désertification sur d'autres îles du Cap Vert

Sao Nicolau n’est pas un cas isolé car l’ensemble des îles du Cap Vert partage son caractère désertique, mais à des degrés plus ou moins marqués. De la zone aride recevant moins de 200 mm d’eau par an, à la (rare) vallée privilégiée bénéficiant d’environ 900 mm – soit grosso modo l’équivalent de la France – l’immense valeur de l’eau saute aux yeux du voyageur. Nos  déambulations sur plusieurs îles de l’archipel nous ont confronté à des paysages agricoles stupéfiants. Nous avons donc souhaité partager certaines de ces découvertes faites au détour d’une dune, d’un sentier ou d’un col de montagne via une série de photos commentées.

 

Boa Vista – Des haricots dans les dunes…

Boa Vista est une île rocheuse et sableuse, bénéficiant d’un arrosage très faible. L’une de nos virées nous a conduit dans le sud ouest de l’île. Une zone constituée de dunes parsemées de palmiers et autres « plantes des sables » éparses. Notre étonnement fut grand lorsque nous avons découvert quelques plants de haricots qui survivaient miraculeusement dans ce substrat si pauvre. Nous avons pensé que quelques graines tombées ici par hasard avaient courageusement germé et puisé dans leurs réserves nutritives afin de faire émerger quelques racines. La rencontre pourtant improbable de celles-ci avec de l’eau a permis le développement d’une tige, de feuilles et – incroyable à nos yeux -  de gousses de haricots ! Mais à y regarder de plus près, le hasard a reçu un sérieux coup de main de la part de l’Homme. La preuve, c’est que les plants sont disposés en lignes ! L’intervention irréfutable de l’Homme. Un peu plus loin, quelques courges rampent sur ce même sol, ainsi qu’une autre variété de haricots. Plus de doute possible, il s’agit bien d’une zone cultivée. Du maraîchage ultra-extensif dont les rendements doivent être bien maigres. Mais quelle preuve de ténacité !

 

Plant de haricot

Rangées de haricots maigrelets

Boa Vista – Rencontre d’une ferme aux productions diversifiées… mais maigres

Un second paysage agricole a retenu notre attention à Boa Vista. Il s’agit d’un lieu identifié sur les cartes comme « zone irriguée ». Notre curiosité nous y a conduit, avec l’espoir de voir un peu de verdure et d’eau. Au détour d’un bosquet d’acacia, dans le prolongement d’une piste de sable, nous avons découvert la ferme en question. Domaine abandonné… on pourrait le croire si les chevaux dispersés dans une maigre pâture n’étaient là. Eux, c’est pour le touriste qu’ils sont élevés. La source de revenus qu’ils occasionnent est probablement plus importante que celle obtenue par la vente des productions agricoles. Ce n’est que pure hypothèse, mais les quelques poules en liberté, le petit enclos pour les porcs, ainsi que la densité misérable des haricots et maïs ne nous semblent pas en mesure de procurer des revenus extraordinaires. Il est tout de même très intéressant de voir les aménagements réalisés en vue d’accroître les performances. Deux exemples : 1/ les tiges de maïs sont conservées après la récolte afin de servir de tuteur au plants de haricots, semés à leurs pieds. En retour, le haricot, qui est un légumineuse, capte l'azote dans l'air, qu'il restitue au sol à sa mort, permettant ainsi de "nourrir" les cultures l'année suivante. Ce type d'association "graminée-légumineuse" est également parfois utilisée en France, notamment en agriculture biologique ; 2/ De nombreuses palissades, parfois magnifiquement tressées à partir de feuilles de palmier, parfois réalisées plus grossièrement à l’aide d’enchevêtrement de branchages, sont disposées afin de couper le vent (qui transporte un sable agressif, pouvant lacérer les cultures) et peut être aussi de créer une ombre. Autrefois l’île était paraît-il beaucoup plus agricole. A force de persévérance, à l’aide de techniques éprouvées, il est étonnant de voir que la culture peut pousser là où on s’y attend si peu.

 
La première impression : une ferme à l'abandon??

Elevage de chevaux pour le tourisme
 

Cultures associées : le pied de maïs récolté sert de tuteur au haricot

Palissade rudimentaire pour freiner les effets parfois dévastateurs du vent

Santo Antao, enfin de l’eau… des paysages agricoles variés dans des vallées grandioses

Le nord-est de Santo Antao, l’île la plus occidentale de l’archipel, est la zone la plus arrosée du Cap Vert en raison d’une haute chaîne montagneuse qui retient les nuages venant de l’ouest. Ceux-ci se vident de leur eau, apportant aux vallées escarpées le précieux liquide nécessaire à une agriculture florissante. Le contraste entre les deux versants de l’île est saisissant : verdoyant au nord-est, aride sur le reste de l’île ! Les cultures sont presque exclusivement réalisées sur des terrasses tant les pentes sont fortes et les espaces plats rarissimes. Les pentes de ces terrasses sont travaillées à la main à l’aide de houes, aux prix de grands efforts, de telle sorte que l’eau d’irrigation traverse par gravité chaque centimètre carré de terre. Du grand art, un héritage précieux : l’eau des ruisseaux s’écoule harmonieusement au milieu des ignames, des bananiers… créant ainsi des paysages magnifiques. Les cannes à sucre et leurs beaux plumeaux blancs sont omniprésents car le grogue (eau de vie) de Santo Antao est réputé et bu sur tout l’archipel, pur sous forme de punchs ou de liqueurs. Les caféiers, les manguiers, les goyaviers, les arbres à pain et les nombreux papayers sont les principales autres cultures. Ici, en pleine période de production, les goyaves et les mangues ne sont pas vendues, mais données tant elles sont nombreuses !

Santo Antao est donc une exception au Cap Vert, mais cette ressource en eau doit être gérée de manière attentive car elles restent malgré tout dépendantes des précipitations annuelles.

 


Hameau entouré de cannes à sucre, manguier, bananiers...

Terrasses façonnées afin de permettre une irragtion de l'ensemble par gravité

Réservoir d'eau. En le couvrant, on pourrait diminuer la perte d'eau par évaporation

Paysage de terrasses irriguées : ignames et bananiers
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