Descente du Portugal

Publié le par Une île deux portraits

Dernière nouvelle...pourquoi sommes nous toujours à Cascais? Parce que ça : une houle de 6,5 m prévue! 


Le Portugal, sauts de puces entre dégradations météorologiques

 

Nous le savions dès notre départ, et pensions nous y être préparés mentalement : « ce sont les conditions météorologiques qui rythmeront le voyage, qui autoriseront un appareillage ou le reporteront ». Sages paroles auxquelles nous adhérons plus que jamais depuis notre rencontre avec le coup de vent du Gascogne. Notre Kaneka s’est avéré vaillant, certes, mais nous n’avons éprouvé aucun plaisir à nous faire ballottés en tous sens. Avant de quitter les terres espagnoles pour le Portugal, nous épluchons donc soigneusement les bulletins météo. Tous les sites Internet que nous connaissons y passent, et les heures défilent devant l’écran de notre ordinateur. Confortablement installés dans le vaste salon désertique du Real Club Nautico de Vigo – on se serait bien imaginés monocle à l’œil, montre à gousset dans la poche d’un veston de velours, jouant une partie de rami ou de bridge - nous étudions la force et la direction du vent ainsi que les caractéristiques de la houle (hauteur et direction) dans chacune des zones où nous nous trouverons au cours de notre « descente ». Pour rallier Lisbonne, deux jours et demi nous suffisent si les éléments sont avec nous. C'est-à-dire si le vent souffle de l’arrière (vent d’est, nord ou ouest) avec une force raisonnable (force 3 à 5, soit 10 à 20 nœuds), une houle modérée (disons autour de 2 m maximum) et bien orientée, dans la même direction que le vent si possible. Cela fait beaucoup d’éléments à rassembler, mais le moindre critère qui n’est pas rempli, surtout sur une petite embarcation, peut rapidement rendre le voyage inconfortable et long, donc fatigant et stressant. Si plusieurs éléments sont défavorables, autant dire qu’il vaut mieux remettre le départ à plus tard. Nous croisons les prévisions espagnoles et portugaises avec celles de Météo France et d’autres sites internationaux de météo marine. Tout serait tellement simple si toutes ces données se recoupaient… seulement, ce n’est pas du tout le cas. Chacun y va de sa prédiction. Des points communs ressortent fort heureusement, mais il arrive qu’un vent soit prévu de sud par Un Tel et de nord par Un Autre… Idem pour la force vent : raisonnable selon l’un, excessive selon l’autre. Alors qui croire ? Est-ce le contexte météorologique actuel – petites dépressions quasi insignifiantes qui perturbent un système par ailleurs largement anticyclonique – ou est-ce le lot quotidien du marin de devoir se faire sa propre idée dans une « offre » mondiale hétérogène ? Pour nous aider à trancher, nous bénéficions heureusement de l’aide de nos deux routeurs qui nous conseillent depuis la France, Christian et Franck. Leurs analyses nous sont précieuses et nous confortent (ou non !) dans nos choix.

 

Kaneka au mouillage de Cangas, en face de Vigo

Autant le dire tout de suite, notre descente ne s’est pas faite en 2,5 jours, encore moins d’un seul jet.

 

Voici quelques extraits de situations, rédigées sous forme de journal, dont l’objet est de vous faire partager nos doutes, tergiversations et autres sentiments d’impuissance.

 

2 octobre 2008. Forte houle ? Même pas peur… encore que…

Les conditions semblent réunies pour poursuivre notre migration vers le sud. Vent de nord et houle modérées, soleil. Les informations fournies par la capitainerie sont optimistes, nous aussi. Nos étapes s’enchaînent pour l’heure à merveille, et nous ne prenons pas de retard sur notre « planning ». Petite parenthèse pour préciser que l’emploi même du mot « planning » est révélateur d’une attitude à oublier impérativement en mer : toute organisation d’un voyage à la voile au jour près, tout rendez-vous avec des terriens sont des réflexes à oublier au risque de vouloir partir à tout prix, ce qui aboutit bien souvent à négliger des conditions de mers parfois trop dures. Il est réellement difficile de parvenir à penser ainsi, différemment. Fin de parenthèse. Par mesure de prudence, nous analysons de plus près les prévisions. Les deux premiers jours de navigation s’annoncent en effet des plus propices. Toutes les analyses le confirment. Mais le dernier tiers du voyage est entaché par l’annonce d’une houle de 3,5m, les autres critères étant idéaux. Nous discutons longuement et aboutissons à l’étrange conclusion – quand on y pense après coup – qu’une houle de 3,5m ce n’est pas si gros après tout. Surtout avec un vent favorable. Nous sentons malgré tout un poids énorme sur nos épaules car la décision de partir est lourde de conséquences. Nous nous dirigeons sciemment vers des conditions de mer rude. Pourquoi un tel choix ? Parce que les prévisions à long terme prévoient un vent de sud qui pourrait nous coincer à Vigo pour une durée indéterminée. Notre idée est de partir avant cette renverse des vents.

Fort heureusement, nos proches terriens nous raisonnent depuis la France. Ils nous font prendre conscience du ridicule de la situation. Prendre un risque, aussi minime soit-il (et celui-ci ne l’est pas) pour gagner quelques jours, est à l’opposé de notre philosophie initiale. D’autant plus que la côte portugaise, à l’instar de la côte landaise en France, est caractérisée par une barre, déferlements de vagues dont les surfeurs se régalent, mais que les voileux craignent. Les ports sont peu nombreux, et leur approche dangereuse par forte houle.

Nous nous rangeons du côté de la raison, et troquons un tour dans une machine à laver contre une visite de la bien célèbre Saint Jacques de Compostelle – Santiago de Compostela. Qu’il est bon de s’éloigner un temps du voilier, de croiser des dizaines de randonneurs boiteux, de déambuler dans les ruelles de cette ville sainte… et très, trop touristique.

 

Centre historique de Santiago de Compostela

5 octobre 2008. Le vent dans le nez ? Ce sera juste un peu plus long ! Une éternité oui !

C’est décidé, nous partons pour Lisbonne. Cette fois la météo est avec nous. Enfin… encore une fois une condition n’est pas remplie : cette fois-ci il s’agit de la direction du vent. Nous l’aurons dans le pif au début, mais nous partons ! En espérant qu’il tourne au nord comme prévu par les « spécialistes ».

Kaneka glisse sur une mer peu agitée, à un bon rythme. Un bon rythme certes, mais notre cap étant alternativement orienté au sud-ouest ou au sud-est, nous avançons tel un crabe, parcourant 2 miles pour gagner 1 mile sur notre route réelle. Un bateau ne peut en effet pas avancer contre le vent. On peut au mieux « tirer des bords », c'est-à-dire suivre une route dont le cap fait un angle d’une trentaine de degrés avec le vent apparent (= vent constitué des deux composantes que sont le vent réel et le vent lié à la vitesse d’avancement du bateau). Sachant qu’il faut ajouter à cela une dérive due à la poussée du vent sur les voiles qui nous éloigne encore de notre route. Bref, on avance, mais on se traîne !

La surprise du chef arrive le lendemain matin de notre départ, alors que nous consultons comme tous les jours les cartes météo à l’aide de notre radio BLU : un fort vent de sud est attendu pour la nuit. Ce qui signifie : un vent contraire + un vent fort + une houle qui grossit. Pas bon du tout, nous décidons de nous replier dans le premier port venu – à vrai dire le seul à portée de voile – Leixoes, à côté de Porto. Bonne décision, à double titre. Premièrement, le vent s’est en effet avéré violent cette nuit là, contraignant les pêcheurs à rester au port, c’est tout dire. Et deuxièmement, cela nous a permis de découvrir la magnifique ville de Porto.


Kaneka, protégé dans l'enceinte du port de Leixoes

Le vieux Porto 

Le vieux Porto

8 octobre 2008. L’angoisse du brouillard épais, assorti d’un nouveau risque d’excès de vent.

Le mauvais temps passé, nous quittons Leixoes alors que le jour n’est pas tout à fait levé. Confiants, nous le sommes, mais nous devenons franchement méfiants vis-à-vis des prévisions. Nous doutons de leur fiabilité, et nous ne sommes plus aussi sereins qu’au jour de notre départ de Gâvres. Nous n’avions alors jamais rencontré de gros temps. Nous ne pouvions qu’imaginer, sans savoir que la confrontation à la réalité transformerait notre vison de la navigation. Non pas que nous soyons traumatisés, le bateau tient la route et à aucun moment nous ne nous sommes sentis en grand danger, mais nous savons à présent que nous n’aimons pas le mauvais temps. Nous prenons de plus en plus conscience, même si nous le savions dès le début, que c’est aux escales que nous prenons un maximum de plaisir.

Qu’allait-on rencontrer de nouveau cette fois-ci ? Et bien du brouillard. Un épais brouillard qui nous enveloppe. Nous naviguons dans du coton, scrutant les alentours à se faire rougir les paupières, les cheveux couverts de fines perles d’eau. Leixoes est un important port de pêche et de commerce, si bien que les cargos et autres chalutiers sont nombreux à y entrer et sortir. Notre veille est donc intense, car nous ne disposons pas de radar, et notre AIS ne permet que de repérer les cargos qui sont dans un cercle de moins de 2 miles autour du bateau (en raison d’un disfonctionnement). Nous espérons que les autres bateaux sont attentivement penchés sur leurs radars, et qu’ils auront l’amabilité de nous éviter !

Soudainement, Yann annonce la présence d’un cargo à moins de 0,3 miles dans notre ouest. Redoublant d’attention, je veille dans la direction annoncée par mon équipier lorsque surgit une véritable cathédrale à une distance difficile à estimer, mais beaucoup trop faible à notre goût… 300 m peut être. Des frissons parcours mon corps, et c’est avec un grand soulagement que Yann annonce que l’immeuble flottant est à l’ancre. Ce qui permet de le contourner aisément. En mouvement, la manœuvre aurait été autrement plus périlleuse ! Y avait il un homme de quart à bord du cargo ? Si oui, une coup de corne de brume nous aurait probablement avertis plus tôt de sa présence.

Jusqu’à 13h nous naviguons ainsi, interprétant chaque augmentation de luminosité comme le signe de la fin de ce calvaire. Mais nous traversons en réalité des nappes de brouillards plus ou moins épaisses. Avant le retour salvateur du dieu soleil, nous entendrons encore la corne de brume d’un cargo passant dans notre arrière, à environ 2 miles, ainsi qu’un bruit sourd de moteur que nous attribuons à un bateau de pêche. Celui-là, on ne l’a pas vu, mais on l’a bien entendu.

Le soleil de l’après-midi, nous l’avons apprécié, mais une angoisse était latente : aurions nous de la brume ce soir ? Nous fixons le soleil et l’horizon à la recherche de la moindre nébulosité. Le soleil est voilé : c’est sûr, cette nuit sera cotonneuse. Une fatigante veille nous attends. Mais le couché du soleil arrive et nous voyons distinctement les lumières des phares. Finalement la nuit sera claire. Elle sera même radieuse, étoilée, paisible. Cette nuit nous a réconcilié avec la mer, vraiment.

A croire que le mauvais temps nous poursuit, les cartes météo du matin annoncent de nouveau un fort vent. Nous procédons à ce qui devient routinier, à savoir la mise à l’abri dans un port, celui de Péniché. Cette fois nous ne sommes plus qu’à une quinzaine d’heures de Lisbonne. Pittoresque village de pêcheurs, Péniché est un bon abri pour Kaneka et une dizaine d’autres bateaux qui trouvent refuge pour la  nuit. Un air de Maroc se dégage de ce port bordé d’une citadelle et composé de maisons colorées.


Péniché vue de la mer

Petit village en couleurs


Poissons qui sèchent au soleil
 

9 octobre. Tant pis pour Lisbonne, ce sera Cascais. Histoires de fou, histoires de mouches

Nouveau départ. Lisbonne ne s’est donc pas atteint en 2,5 jours !

Un fort coup de vent est attendu sur le détroit de Gibraltar. Il ne devrait pas concerner notre zone de navigation avant le soir. Nous partons donc de très bon heure afin de rallier Lisbonne le plus tôt possible. Une course contre le coup de vent en quelque sorte. Nous filons à une allure telle que notre confiance est
grande. A ce rythme, nous arriverons à Lisbonne avant la nuit.

Rencontre avec un vieux gréement et un pêcheur

Une ligne de traîne file derrière le bateau. Un peu de poisson frais achèverait de nous combler. Mais point de poisson, ce sont de jeunes Fous de Bassans qui plongent sur notre « mitraillette ». Les Fous adultes ne se sont pas bernés par ces hameçons camouflés de plumes. Ils ont probablement dû se faire avoir en leur jeune temps. Les jeunes font leur apprentissage, mais remontent bredouilles, fort heureusement. Nous hésitons à remonter la ligne, mais la laissons encore traîner quelque temps, espérant qu’ils comprendront que ces poissons n’ont rien de nourrissant. Tout à coup, un Fou plonge ; il ne remonte pas. Malheur, le voilà pris au piège de sa gourmandise et de notre arme. Triste vision que cet oiseau traîné derrière le bateau, que nous essayons de remonter pour le libérer de ce cruel crochet. La ligne pèse, et nous tirons fort, à deux, pour hisser ce lourd poids au plus vite, et si possible le libérer. Le verdict sonne lorsque brusquement la ligne casse, laissant le pauvre oiseau seul avec ses hameçons que nous imaginons en train de pendre hors de son bec. Il ne survivra peut être pas, et c’est un triste spectacle que de voir l’ensemble de ses congénères voler au-dessus de lui, ne comprenant pas ce qui arrive à ce gourmand plus habile que les autres, qui ne parvient pas même à s’envoler.

Pas drôle cette pêche, un peu déprimant…

Autre histoire d’oiseau. Elle commence peu de temps après l’épisode du Fou, au moment où les conditions météo changent très brutalement autour de 13h30. Le contexte : le vent soutenu qui nous poussait vers Lisbonne cesse d’un coup. Totalement. Pétole alors que 2 minutes plus tôt un bon force 4 nous accompagnait. Un quart d’heure plus tard, aussi brutalement qu’il avait disparu, le vent revient, non plus du nord-est, mais du sud-est. Différence majeure, ce vent est chaud, et nous ressentons une moiteur que nous n’avions pas rencontrée jusque là. Le vent forcit, si bien qu’une évidence nous envahit : le coup de vent annoncé a pris de l’avance. Nous changeons de régime. Le baromètre chute de 5 points en 4h, ce qui est très mauvais signe. Nous avons besoin de seulement 3h pour rejoindre le port de Cascais, juste à côté de Lisbonne, mais ces trois heures seront interminables. Elles ont produit sur nous le type de tension que l’on ressent quand on attend les résultats du bac ou d’un concours…

C’est donc précisément au moment de la bascule des vents qu’une mouche apparaît dans le bateau. Puis une dizaine de ses sœurs la rejoignent. Et de 10, ces insupportables insectes qui laissent les petits points noirs de leurs déjections partout sont passés à 20 puis 30… plus on en tuait – Yann est une véritable machine à tuer ces êtres abjects – plus il en apparaissait. Le signe de quelque nourriture oubliée dans un recoin du bateau très vraisemblablement. Mais rien n’y fait, malgré une recherche attentive, aucun fruit pourri, aucun morceau de fromage avarié n’est repéré, ni à l’odeur, ni à la vue… C’est alors que nous revient un certain épisode du Gascogne en tête. Vous vous souvenez très certainement de notre ami Nestor le petit oiseau qui nous avait rendu visite au beau milieu de nulle part ? Et bien Nestor n’est plus, il était bien venu se cacher pour mourir. Délicatesse de ce petit tas de plume, il s’est mis dans un recoin, et n’a pas émis la moindre odeur. Il s’est donc rappelé à nos bons souvenirs, mais nous a laissé un héritage dont il reste encore quelques rares traces à l’heure où j’écris, une mouche sur l‘épaule…

 

Résultat de nos sauts de puces, nous avons atteint notre objectif, et avons établi notre camp de base à Cascais, à une demi-heure de train de Lisbonne, dont nous profitons autant que possible pour cette dernière escale avant les îles de l’Atlantique.

Vue typique de Lisboa
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
Salut , ne vous plaignez pas avec la météo, ici c'est la Toussaint et il pleut depuis ce matin. Tournée des tombes et heureusement bolée à la Vallée. Avel mad gantoc'h
Répondre
P
bon vent belle mer pour votre trans Madeiria gros bisous de nous 2
Répondre
B
Depuis quand les mouches sont des êtres abjects? Tu m'étonnes frérot! Je préfére la dernière image de la mouche sur l'épaule. Beaucoup plus saisissant que la vieille photo du perroquet.
Répondre
M
Ouffff ! Je dois avouer que je commençais à m'inquiéter de ne pas avoir de nouvelles... J'espère que les prochaines étapes seront plus soft pour vous.<br /> Ici, du changement dans l'air car l'appart est vendu : signature finale en décembre et billets d'avion avec un aller simple pour "le caillou" ! Nous partons le 11 janvier 2009 avec escale à Helsinki et Tokyo !<br /> Bisous à vous ! On pense à vous !!
Répondre
S
Ah oué.
Répondre